lundi 10 octobre 2011

Fistule or not fistule ?

Parmi les joies d'être dialysé, outre le temps consacré à l'affaire, outre la fatigue qui s'en suit parfois, outre le régime hydrique (vous pissez moins ou plus : donc il faut se rationner en eau & liquides, le "trop plein" étant enlevé par la dialyse, dans une certaine limite...) il faut bien connecter la machine à votre corps pour pomper le sang, et vous le rendre.

Deux méthodes : le cathéter et la fistule. J'ai eu les deux. Le cathéter est un tuyau connecté à votre jugulaire, qui passe sous la peau sur une vingtaine de centimètres, et ressort au niveau du pectoral. Généralement le "cathé" comporte deux voies qui se termine par un petit connecteur avec des bouchons. Le tout est fixé au moyen d'un fil et sera planqué sous un pansement qu'il faudra changer à chaque fois.

Inutile de vous dire que se trimballer avec un pansement sur le torse et un tuyau qui est un peu le témoin de votre maladie est un peu dur pour le moral. Certes, c'est très pratique car cela évite qu'on vous pique le bras à chaque fois et vous pouvez bouger comme vous le souhaitez pendant la dialyse. Cela ne modifie pas spécialement votre corps, une fois retiré, il ne restera qu'une petite cicatrice à l'endroit où le cathé sortait. Pour retirer le cathé, il suffit de tirer dessus et d'appuyer au niveau de la jugulaire pour éviter la formation d'un hématome, ce geste est pratiqué à l'hôpital et implique parfois un petit geste chirurgical pour dégager l'engin au point de sortie lorsque la peau a adhéré. Par contre, le fait que vous ayez un cathéter implique d'être dialysé en centre hospitalier ou dans des centres lourds (c'est à dire avec une présence médicale) notamment pour les questions d'asepsie quand à l'usage du cathé.

Pour ma part, ça me posait pas mal de problèmes de supporter cet accessoire. N'aimant plus vraiment mon corps, ce n'est pas vraiment facile d'avoir une libido, qui suppose d'être bien dans sa tête, d'accepter de se montrer à l'autre dans cet état... Ce n'est peut-être pas le genre de question qu'on se pose quand on est un papy dialysé, mais à 35 ans (bon ok, 36.... mais au fait, je ne vous avez pas dit que j'avais 6 ans ?) c'est le genre de question et de problème qu'on peut avoir. Cette période a été assez pénible mais l'urgence d'être dialysé impliquait d'en passer par là. A cette période, je prenais aussi des petites pilules roses, histoire de supporter moralement tous ces changements et emmerdements de vie – same player, shoot again – mais tout de même, me trimballer avec cet accessoire, c'était d'un chiant... (disons les mots !)

L'autre solution, la fistule, n'est possible qu'après une intervention et un temps de développement. Bon là j'explique, parce que si vous ne connaissez pas le sujet, cela doit vous paraître obscur... Il faut dire que j'ai mis les pieds dans le problème en apprenant au fur et à mesure. Quand on vous propose une fistule, vous dites : quesaquo ? Les explications sont vagues, parce qu'au fond, c'est le quotidien des médecins, que ça leur paraît à tous évident, mais pour vous, pas. J'avais le DrRéanimanana qui me suit pour la greffe qui me disait « non, c'est pas chouette et ça se bouche...gardez le cathéter ! » et le néphrologue du Grand Hopital Énigmatique Parisien (GHEP), le professeur Chewingum, qui me disait « si si si (mâche mâche) il faut faire la fistule (mâche mâche) il faut pas attendre, allez-y... (mâche mâche) »

Et quand je demandais plus d'explications, Réanimanana me disait « Avec un cathéter, on peut le garder des mois et des mois, ça ne pose pas de problème, juste un peu gaffe à l'hygiène, aux pansements » et Chewingum me disait « oui mais bon (mâche mâche) vous savez pas combien de temps vous allez attendre pour la greffe (mâche mâche) fistule ! fistule ! Vite... (mâche mâche) »

Et puis bon, ça ressemble à quoi une fistule ? C'est quoi ? A ce stade vous n'êtes pas spécialement avancé. Z'avez beau regarder sur internet, c'est pas forcément plus clair.

Il s'agit de faire une dérivation de l'artère de votre bras, sur une veine. Il se produit un "court circuit", votre artère continue d'irriguer votre bras, mais une partie du sang et routé vers une petite veine qui du coup, se développe. La veine superficielle qui était d'un petit calibre devient un gros tuyau dans lequel il sera facile de piquer à chaque fois, à deux endroits différents, l'un pour prendre le sang, en amont, et en aval pour le rejeter, une fois filtré par la machine.

Ce qu'on ne vous dit pas ou qu'on ne vous montre pas (en tout cas, moi j'ai découvert en fréquentant les malades...) c'est que les points de ponction, à force d'être piqués se développent sous forme de très grosses boursouflures sur les bras. C'est extrêmement moche. Une intervention chirurgicale peut permettre de résorber ces boules une fois qu'on a décidé de changer définitivement de point de ponction, reste alors une cicatrice – de plus – et ce sera pareil sur les nouveaux points de ponction.

Au début, je suis adressé à un grand grand grand spécialiste de la fistule, dans une clinique de l'ouest parisien. Je pensais qu'à un certain âge, même bardé de médailles et d'honneurs, même grand spécialiste, on prenait un jour sa retraite, surtout quand on a les mains qui tremblent un peu. J'ai beaucoup de respect pour ce monsieur qui semble très au fait de son affaire, même s'il passe son temps à engueuler sa secrétaire devant les patients, ce qui me dérange. Je dis avec un grand sourire : « J'aime bien vos scènes de ménage à la Une gars-Une fille, vous faites ça devant tout le monde ou bien c'est juste pour moi ? ». La secrétaire sourit intérieurement. Il ne doit pas y avoir beaucoup de gens qui prennent son parti ouvertement...

Après des échographies des veines du bras, le grand grand grand spécialiste pense que seule la veine située sous le bras sera la plus à même d'être transformée en fistule, ce qui sera plus compliqué pour piquer et pas très pratique pour poser le bras durant 4h de dialyse, 3 fois par semaine... Je suis pas très chaud. Lui non plus d'ailleurs, il adresse des courriers un peu dubitatifs au professeur Chewingum. Ce qui le fait reculer, c'est que j'ai 40.000 plaquettes, c'est à dire le sang qui a du mal à coaguler, or dans cette clinique, on ne passe pas de plaquettes pendant les interventions. Ne vaut mieux-t-il pas qu'on fasse la fistule à l'hosto ?

Finalement, après tergiversations, je décide de prendre un autre avis. Je suis adressé à l'institut Monragondin à une chirurgienne dont tout le monde m'a dit beaucoup de bien (notamment les infirmières de Réa-Chir au GHEP). Le Dr Compagniecréole affiche la cool attitude. Moi pas : je commence un peu à en avoir marre d'être baladé. Elle répond à mes questions, m'affirme que non, on peut très bien se débrouiller avec la veine sur le dessus du bras, plus pratique, qu'il n'y a pas besoin de passer de plaquettes, que l'intervention est d'une banalité affligeante. Je ressors regonflé, et de fait, quelques semaines plus tard, tout se passe comme sur des roulettes. Une cicatrice de plus au creux du coude...

Dans quelques mois, on pourra commencer à piquer dans la veine. Une fois qu'on sera certain qu'il n'y a pas de problème, on pourra retirer le cathéter. En laissant une petite cicatrice de plus, au dessus du sein...

La subtilité avec les fistules, c'est qu'effectivement, comme le disait Réanimanana, "ça se bouche" parfois... Et ça, ça dépend aussi beaucoup des gens, de leurs veines, de la souplesse des tissus, etc. Pour ma part, j'ai découvert avec joie que je fais partie des 20% de patients dont on doit bricoler la fistule régulièrement. Une joie de plus dans ma vie !

Concrètement, il peut se produire des sténoses, c'est à dire des rétrécissements sur le circuit veineux. Du coup, le débit de la fistule n'est plus bon, et la dialyse de moins bonne qualité, car le sang qui est rejeté est directement ré-aspiré par l'autre point de ponction... La solution est la fistulographie : on va injecter un produit opaque sur les radiographies pour voir où se trouvent les sténoses et comme pour dilater les coronaires chez ceux qui font une crise cardiaque, on introduit une sonde avec un ballonnet qu'on va gonfler pour dilater les vaisseaux.

C'est ma première fistulo-graphie ! C'est ma première fistulo-graphie ! Comme dirait la chanson... Et c'est bien une suprise-party : cette intervention fait atrocement mal. Ah oui ? On ne vous avez pas prévenu ?

A l'hôpital de la Miséricorde, je ne sais pas trop ce qui m'attend. Après avoir poireauté, poireauté, et être baladé, accueilli un peu comme un chien dans un jeu de quille, on me confie à un jeune médecin que je ne sens pas très assuré et qui va consulter souvent son collègue qui opère à côté. Ca ne met pas vraiment en confiance, pas vrai ? Une fois allongé sur la table, le bras sous un champ stérile, insensibilisé, je sens un liquide chaud qui coule sur le coude, à l'endroit où le médecin rentre la sonde. « Ne vous inquiétez pas, c'est le sang qui coule. ». Je ne sais pas si c'est vraiment ce qui va me tranquilliser... Finalement la dilatation des vaisseaux est un moment assez terrible, une douleur irradie dans tout l'épaule jusqu'à la tête, et dans le bras, c'est à se tordre et à crier. Je ne m'en prive pas... Et je reste groggy quelques minutes après l'opération, le temps de reprendre mes esprits et me dire « putain, si c'est à chaque fois comme ça, ça promet. J'aurais mieux fait d'écouter Réanimanana et de supporter ce putain de cathé quelques mois...même un an ou deux ! »

Trois mois plus tard, j'ai à nouveau des problèmes avec ma fistule. Mais cette fois, j'ai changé de centre de dialyse et le néphrologue, le Dr Khebab, m'adresse à la clinique de La Jungle. Je me dis « Houlà, une clinique, normalement, y'a pas mieux que l'hôpital de la Miséricorde, non ? ». Finalement, c'est tout le contraire. On m'accueille avec le sourire. Sur la table, contrairement à l'hosto, on protège le corps avec des tabliers de plomb pour prendre le minimum de radiations dans l'abdomen. A la miséricorde, même les infirmiers ne portaient pas leurs tabliers « parce qu'ils sont mal fichus... » (bon après tout, c'est leur problème, mais s'ils ont une maladie professionnelle à 50 ans, se plaindront-ils ?).

Le médecin pique en une seconde, pas le temps de sentir quoique ce soit, pas d'écoulement de sang comme à la Miséricorde... Le geste est sûr. Et pour la dilatation des vaisseaux, on me shoote au Kalinox, un peu de protoxyde puis ensuite une sédation puisque je montre des signes de douleur. Au final, l'expérience est beaucoup moins traumatisante, plus supportable. Pourquoi est-ce qu'on ne prend pas en compte la douleur à l'hôpital de la Miséricorde ? Mystère...

A la fin de l'intervention, les médecins prennent le temps de discuter, sur la table, ils me montrent sur l'écran ce qu'ils font. Et je me dis que si je dois refaire des fistulo, ce sera à la clinique de La Jungle et pas ailleurs.

Ca tombe bien, deux mois plus tard, c'est à dire cette semaine : rebelote. Cette fois, il faut vraiment me shooter car on va procéder à plusieurs dilatations et que 20 bars de pression dans le ballonnet son nécessaire pour venir à bout des sténoses... On pose aussi un ressort, un stain, pour que les vaisseaux ne se rétrécissent pas à nouveau, même si la pose d'un ressort à cet endroit n'est pas idéale, c'est toujours compliqué pour rattraper le coup après et redilater en cas de besoin... L'avenir, ce sont des ballonnets qui sont enduits de produits qu'on ira déposer directement aux endroits où c'est nécessaire, ces produits agissants durablement pour dilater les vaisseaux. C'est déjà utilisé pour les coronaires, mais encore pour les fistules... Aujourd'hui je me remets de cette intervention qui m'a laissé une petite douleur sous la clavicule. J'espère que ce n'est que passager et que le stain n'engendrera pas de sensations désagréables ou de problèmes à l'avenir... Affaire à suivre !

Ce qu'il y a de sûr, c'est que la fistule créée, c'est un problème de plus à suivre, même une fois greffé... On ne revient pas en arrière. Alors fistule or not fistule ? Je n'ai pas tranché la question. C'est surtout une question de ressenti personnel. Mais si jamais vous êtes placé devant ce choix, n'hésitez pas à aller faire un tour dans des centres d'autodialyse pour rencontrer des malades et les infirmières, qui pourront vous dire concrètement comment on le vit. N'hésitez pas à prendre plusieurs avis médicaux également, comme toujours... Après tout, c'est VOTRE peau.

mardi 4 octobre 2011

Rebelote

Le dernier article de ce blog était à propos d'un appel pour la greffe... tombé à l'eau.

La nuit dernière, j'avais décidé de mettre des bouchons d'oreille pour dormir tranquille... Il a fallu insister un peu au téléphone pour me réveiller à 3h du matin. Pour une fois que je dormais bien. Pour une fois que j'avais réussi à m'endormir plutôt rapidement après une journée crevante... Coup de fil à 3h du matin.

"Restez disponible... on a peut-être un organe pour vous. Restez à jeun. On vous donnera des nouvelles demain matin..."

Pas le genre de coup de fil qui vous pousse à vous rendormir serein.

Du coup c'est avec 3h de sommeil dans la tronche que j'attaque cette splendide journée, mes rendez-vous - un bilan ORL à l'hosto, le coiffeur, le boulot - donc totalement au radar et sur les nerfs... en attendant le coup de fil fatidique !

EDIT 11h44 : Séquence "ça tombe à l'eau", deuxième ! Comme dit le médecin qui m'appelle "bon, ben... vous pouvez reprendre une activité normale !". On va dire ça...

samedi 10 septembre 2011

En léger différé

22h45 : téléphone, le numéro est masqué (déjà, petit haussement de sourcil de ma part de curiosité teintée d'espoir et d'appréhension...)

- Bonsoir, c'est le Docteur Couchetard (na, bien fait, on a pas idée d'appeler à cette heure en plus !)... Voilà on a peut-être un greffon pour vous. Vous allez bien en ce moment ? Pas de fièvre ? Les traitements ? Demain 7h30 à l'hosto...

- Bon, ok merci...

Appel aux parents. Appel à chéri. Coup de fil à un ami, Jean-Pierre à des amis, histoire de mettre tout le monde au parfum.

Ma soeur (en fait je parle d'un pote mais on dit qu'on est frangines, rapport à notre orientation, t'as vu ?) a choppé mon statut sur Facedebouc, elle m'appelle au téléphone :
- T'as un rein ? Oh putain, (oui elle est vulgaire des fois, ma soeur...) je suis trop content pour toi ! Bonne chance, Bravo !
- heu, bravo, tu sais j'y suis pour rien...

Je dois être à jeûn le lendemain matin, et je le resterai 3 jours : alors j'entame un solide repas en faisant une check list de choses à faire avant de partir, préparer mes affaires, ranger, vider la poubelle, laisser place nette pour que mes parents viennent squatter à la maison pendant mon absence, laisser un mot à la concierge, à la voisine...etc. Je reste très pragmatique en toutes circonstances.

Et puis une heure plus tard :

23h45 : Re-appel masqué. Là par contre, je sais déjà ce qu'on va me dire : tout est annulé.

Bon, je reste stoïque. A force de fréquenter les médecins et de connaître la musique, le second appel ne me fait ni chaud ni froid.

Mes parents :
- t'es pas déçu ?

Non, même pas. Je prends les choses comme elles viennent, sans affect. C'est le meilleur moyen je crois...

Re appel à chéri. Re messages dans l'autre sens pour prévenir que "ben non".

Ca tombait bien, je cherchais justement un sujet d'article pour ce blog ! :-)
Voilà donc, une petite chronique toute chaude, en à peine différé !

jeudi 8 septembre 2011

Brève de mail

à un ami qui me disait avoir lu mon blog et me confiait ses propres déboires avec des médecins qui changeaient de diagnostic :

Oui, pour nos blogs, les médecins sont une source inépuisable d'inspirations et d'exaspérations parfois !

- Inspiiiiiirez, exaspérez ! Dites 33 !
- Pourquoi 33 ?
- C'est le prix de la consultation !
- Ca a déjà augmenté depuis la dernière fois ?
- Dites 34...

lundi 22 août 2011

Coke en stock

Depuis un an que je suis dialysé, les séjours chez mes parents sont rares, et plutôt courts, l'espace d'un week-end, pas plus. En fait, je n'ai pas encore fait les démarches pour me rapprocher du centre de dialyse dans leur ville, du coup je ne reste pas plus de 3 jours...

N'y voyez pas un prétexte pour rester le moins possible, j'adore mes parents, là n'est pas le problème. Il s'agit juste d'enquiquiner une fois de plus la secrétaire médicale pour qu'elle faxe le dossier dans ce centre, alors que je lui ai déjà demandé pour deux autres centres en France, car j'ai la bougeotte (déplacements, vacances...) et j'ai un peu l'impression d'abuser de son temps...

Le WE dernier, en partance pour ma "cambrousse" natale, je plie mes bagages un peu trop vite et j'oublie ma schnouffe...

Poudre de perlimpimpin essentielle, ma coke n'est pas aussi stimulante ou planante que vous l'imaginez, au contraire, c'est toujours en me pinçant le nez que je l'absorbe diluée dans un verre d'eau. Le Kayexalate me permet de me débarrasser de l'excès de potassium... L'excès de potassium est dangereux : il provoque des crampes et à terme, même, des arrêts cardiaques. Ce serait ballot, hein ? Il empêche aussi d'uriner et donc de perdre les liquides consommés. Pour limiter la prise de poids entre deux séances, schnouffe obligatoire donc !

Les malades des reins ont souvent la joie d'absorber cette saloperie - désolé, il n'y a pas d'autre mot - à petite dose ou à pleines cuillères. La poudre très volatile ne doit surtout pas être inhalée, il s'agit de microbilles de polystyrène (une résine échangeuse d'ions) qui ont la propriété, à leur passage dans l'intestin, de libérer du sodium et de fixer à sa place du potassium. Oui, moi monsieur, le polystyrène, je le mange !

Chacun fait c'qui lui plait plait plait pour essayer de passer le goût et la texture rugueuse de ce plâtre couleur sable une fois humidifié. Avec du sirop, dans des yaourts, en se pinçant le nez... La seule contrindication étant de le consommer avec des jus de fruits ou du chocolat puisque tout ceci est plein de potassium ! C'est tellement bon à boire qu'il est précisé que le mélange peut-être administré en lavement ! Au choix, d'un côté ou de l'autre, mais vous le prendrez, votre médicament !

A mon guide « Goût et Mi-eau » pharmaceutique, le kayexalate, il a une sacré mauvaise note, et pourtant j'en ai bouffé des saloperies médicamenteuses dans ma vie ! D'ailleurs si des labos pharmaceutiques veulent un goûteur et des conseils, qu'ils n'hésitent pas à me consulter, je ne prends pas très cher de l'heure...

Le week-end dernier donc, j'oublie le kayexalate dans mon paquetage... Acte manqué ? Freud, soooooors de ce corps !

Heureusement, j'ai mes ordonnances avec moi.

Malheureusement la pharmacie de garde a cédé son dernier pot la veille : pas de coke en stock.

My mother fait 50 bornes pour trouver la pharmacie de garde suivante (telle est la vie en province...)

Dans cette petite ville, le pharmacien du dimanche ne voit pas passer souvent des ordonnance comme les miennes. A chaque nouvelle officine, c'est la même rangaine mais je dois dire que je ne suis pas peu fier de faire mon petit effet à chaque fois : « Oui le trou de la sécu, c'est ma faute, c'est ma très grande faute... fouettez-moi et qu'on en parle plus !».

Une feuille A4 recto-verso de médocs écrit en Arial 9, alors la question est inévitable : « Excusez-moi mais est-ce que je peux vous demander... » et là les formules divergent (et c'est beaucoup) selon le tact de chacun : … ce que vous avez ? ...votre pathologie ? … pourquoi vous prenez tout ça ? Etc.

Parfois, on tombe sur un pharmacien super perspicace ou très au courant qui fait directement le lien... « Muco ? Greffé ? ». Bingo... mais pas que !

Le pot de Kayexalate est sur le comptoir, le pharmacien prend la carte vitale.

- Vous ne faites pas payer un supplément le dimanche ?

- Pas pour les gens qui sont vraiment malades...

J'ai trouvé la démarche élégante, d'autant qu'un de ses collègues parisiens ne s'était pas privé de surtaxer, un WE où j'étais tombé en panne d'un autre truc...

Je repars avec ma schnouffe sous le bras, en me demandant comment font les gens qui n'ont pas une bagnole pour faire les 50km qui les séparent de la première pharmacie en cas d'urgence...

« Beurk, mais qu'est-ce que c'est dégueulasse ! »

Oui je sais, comme méthode Coué, on a trouvé mieux, mais ça vient du coeur !

jeudi 18 août 2011

Rentrée littéraire : Les souvenirs, de David Foenkinos.

En feuilletant le magazine LIRE de cet été, je suis tombé sur des extraits de romans qui sortiront cette rentrée. "Les souvenirs" de David Foenkinos aborde le thème de l'enfance entremêlé de réflexion douces amères sur sa vie d'adulte.

J'ai lu cet extrait et il m'a renvoyé à mes propres souvenirs, et à des questions médicales qui sont terriblement d'actualité avec le médecin de l'hôpital de Bayonne... C'est très bien écrit et cela m'a donné envie de le lire, et hop : un ajout de plus à ma wish list Amazon !

Dès que je l'aurai lu, je vous en ferai la critique... d'ici quelques semaines, vue la pile de romans en retard côté lectures ! ;-)


Extrait :

Il pleuvait tellement le jour de la mort de mon grand-père que je ne voyais presque rien. Perdu dans la foule des parapluies, j'ai tenté de trouver un taxi. Je ne savais pas pourquoi je voulais à tout prix me dépêcher, c'était absurde, à quoi cela servait de courir, il était là, il était mort, il allait à coup sûr m'attendre sans bouger.

Deux jours auparavant, il était encore vivant. J'étais allé le voir à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, avec l'espoir gênant que ce serait la dernière fois. L'espoir que le long calvaire prendrait fin. Je l'ai aidé à boire avec une paille. La moitié de l'eau a coulé le long de son cou et mouillé davantage encore sa blouse, mais à ce moment-là il était bien au-delà de l'inconfort. Il m'a regardé d'un air désemparé, a alors affiché un nouveau message. Je suis resté en suspens, plongé dans une fausse hésitation, car au fond de moi j'étais heureux de ce message, heureux d'être extirpé de la torpeur, ne serait-ce qu'une seconde, même pour la plus superficielle des raisons. Je ne sais plus vraiment quelle était la teneur du message, mais je me rappelle avoir répondu aussitôt. Ainsi, et pour toujours, ces quelques secondes insignifiantes parasitent la mémoire de cette scène si importante. Je m'en veux terriblement de ces dix mots envoyés à cette personne qui n'est rien pour moi. J'accompagnais mon grand-père vers la mort, et je cherchais partout des moyens de ne pas être là. Peu importe ce que je pourrai raconter de ma douleur, la vérité est la suivante : la routine m'avait asséché. Est-ce qu'on s'habitue aux souffrances ? Il y a de quoi souffrir réellement, et répondre à un message en même temps.

Ces dernières années n'avaient été pour lui qu'une longue déchéance physique. Il avait voyagé d'hôpital en hôpital, de scanner en scanner, dans la valse lente et ridicule des tentatives de prolonger notre vie moderne. A quoi ont rimé tous ces derniers trajets en forme de sursis ? Il aimait être un homme ; il aimait la vie ; il ne voulait pas boire avec une paille. Et moi, j'aimais être son petit-fils. Mon enfance est une boîte pleine de nos souvenirs. Je pourrais en raconter tellement, mais ça n'est pas le sujet du livre. Disons que le livre peut commencer ainsi, en tout cas. Par une scène au jardin du Luxembourg où nous allions régulièrement voir Guignol. On prenait le bus, on traversait tout Paris, ou peut-être ne s'agissait-il que de quelques quartiers, mais ça me paraissait démesurément long. C'était une expédition, j'étais un aventurier. Comme tous les enfants, je demandais à chaque minute :

« On arrive bientôt ?

- Oh, que non ! Guignol est au bout de la ligne », répondait-il systématiquement.

Et pour moi, le bout de cette ligne avait le goût du bout du monde. Il regardait sa montre pendant le trajet, avec cette inquiétude calme des gens qui sont toujours en retard. On courait pour ne pas rater le début. Il était excité, tout autant que moi. Il aimait forcément la compagnie des mères de famille. Je devais dire que j'étais son fils, et non son petit-fils. Au-delà de la limite, le ticket pour Guignol était toujours valable.

Il venait me chercher à l'école, et ça me rendait heureux. Il était capable de m'emmener au café, et j'avais beau sentir la cigarette le soir, face à ma mère il niait l'évidence. Personne ne le croyait, et pourtant il avait ce charme énervant de ceux à qui l'on ne reproche jamais rien. Toute mon enfance, j'ai été émerveillé par ce personnage joyeux et facétieux. On ne savait pas très bien ce qu'il faisait, il changeait de métier tout le temps, et ressemblait plus à un acteur qu'à un homme ordinaire. Il avait été tour à tour boulanger, mécanicien, fleuriste, peut-être même psychothérapeute. Après l'enterrement, ceux de ses amis qui avaient fait le déplacement m'ont raconté de nombreuses anecdotes, et j'ai compris qu'on ne connaît jamais vraiment la vie d'un homme.

Mes grands-parents se sont rencontrés dans un bal. A l'époque, c'était commun. Il y avait des carnets de bal, et celui de ma grand-mère était bien rempli. Mon grand-père l'avait repérée, ils avaient dansé, et tout le monde avait pu constater une harmonie entre leurs genoux. Ensemble, ils étaient comme une rhapsodie des rotules. Leur évidence se transforma en mariage. Dans mon imaginaire, c'est un mariage figé, car il n'existe de ce jour qu'une seule photo. Une image en forme de preuve et qui, avec le temps, fixe d'une manière hégémonique tous les souvenirs d'une époque. Il y eut quelques balades romantiques, un enfant, puis un deuxième, et un enfant mort-né. Comment imaginer la violence du passé, celle d'un temps où l'on perdait un enfant comme on rate une marche. On avait diagnostiqué la mort de l'enfant au sixième mois de grossesse. Ma grand-mère avait bien senti qu'il ne bougeait plus, mais elle n'avait rien dit, refusant de mettre des mots sur son angoisse, pour se persuader aussi que rien n'arrivait vraiment. Que les bébés avaient le droit de se reposer comme les adultes. Épuisés de tourner en rond dans l'utérus. Et puis, elle avait dû admettre l'atroce réalité : une absence s'était installée dans son ventre. Elle avait ainsi passé trois mois à attendre que la mort sorte d'elle. Le jour de l'accouchement, ce fut une procédure classique. L'enfant fut expulsé, en silence. Au lieu d'une couverture chaude, on le mit dans un linceul. L'enfant sans vie fut prénommé Michel. Ma grand-mère n'eut pas le temps de déprimer. Il fallait travailler, s'occuper des autres enfants, et puis elle tomba à nouveau enceinte ; j'ai toujours trouvé cela étrange, mais ils appelèrent ce petit garçon Michel. Mon père est ainsi le second Michel, et il s'est construit sur le fantôme de ce prédécesseur mort-né. Il n'était pas rare à l'époque que l'on donne ainsi le nom d'un mort à un enfant. J'ai souvent cherché à me rapprocher de mon père, avant d'abandonner toute tentative. J'ai mis sa fuite incessante sur le compte du fantôme avec qui il cohabitait. On cherche toujours des raisons à l'étroitesse affective de nos parents. On cherche toujours des raisons au manque d'amour qui nous ronge. Parfois, il n'y a simplement rien à dire.

Les années passèrent, il y eut des guerres et des murs, et les deux première enfants quittèrent le foyer familial. Mon père resta seul entre ses parents, et cette période lui sembla pour le moins étrange. Subitement, il était fils unique. Toute l'attention se concentrait sur lui, l'étouffait. Alors, il partit à son tour, un peu prématurément, faire son service militaire. Lui qui était lâche et pacifiste. Ma grand-mère se souvenait du jour où son dernier fils avait quitté la maison. Mon grand-père, pour dédramatiser, avait soufflé : « enfin seuls ! », une tentative stérile de masquer l'effroi. Ils avaient allumé la télévision pendant le dîner, alors qu'ils l'avaient toujours interdit à l'époque des enfants. On remplaçait le récit d'une journée d'école par celui d'un conflit afghan. Ce souvenir-là hantait ma grand-mère, car elle y avait vu la ligne de départ de la solitude. Comme ses deux aînés, Michel passerait de temps à autre sans prévenir, pour laver du linge ou dîner. Et puis, progressivement, il appellerait pour annoncer sa venue. Avant de finir par écrire « dîner chez mes parents » sur son agenda, plusieurs jours à l'avance, quand il prévoirait d'aller les voir.

Mes grands-parents décidèrent alors d'emménager dans un appartement plus petit, car « gâcher des pièces vides, ça ne se fait pas ». Je crois surtout qu'ils ne voulaient plus de la vision quotidienne du passé, des chambres pleines de leur mémoire affective. Les lieux sont la mémoire, et bien plus : les lieux survivent à la mémoire. Heureux dans leur nouvel appartement, ils avaient presque l'air d'un jeune couple qui débute dans la vie. Mais non, ils débutaient dans la vieillesse. Ils amorçaient leur lutte contre le temps. Je me suis si souvent demandé comment ils passaient leurs journées. Ils ne travaillaient plus, les enfants venaient les voir moins souvent, leurs petits-enfants encore moins. Leur vie sociale aussi se rétrécissait, frôlant l'effacement certaines semaines, et le téléphone sonnait surtout pour des tentatives de démarchage. On pouvait être vieux, mais conserver un intérêt commercial. Je me demande finalement si ma grand-mère n'était pas heureuse de se faire harceler. Mon grand-père s'énervait : « Raccroche ! Oh ! Mais pourquoi tu lui racontes ta vie ? » Il lui tournait autour, tout rouge : « Elle m'énerve, elle m'énerve, je ne la supporte plus. » J'ai toujours été fasciné par cette routine de l'agacement entre eux, et j'ai mis du temps à y voir une sorte de jeu mélodramatique. Ils se disputaient, se regardaient méchamment, et pourtant jamais ils n'ont passé une journée l'un sans l'autre. Jamais ils n'ont connu le mode d'emploi de la vie autonome. Les disputes avaient le don de souligner le sentiment d'être vivant. On meurt sûrement plus vite dans l'harmonie conjugale.

Et puis, un détail changea tout. Ce détail, c'est une savonnette. Mon grand-père avait survécu à la guerre ; il avait été blessé dès les premiers jours de combat par un éclat d'obus. A quelques mètres de lui était mort son meilleur ami, écrabouillé. Le corps explosé de ce soldat avait d'ailleurs atténué pour lui l'impact de l'obus, le protégeant, le laissant abasourdi mais sauf. Je repense souvent à cet obus qui, à quelques mètres près, aurait tué mon grand-père. Tout ce que je vis, les souffles de mes heures et les battements de mon cœur, ne doit son existence qu'à quelques mètres. Peut-être même est-ce une question de centimètres. Parfois, quand je suis heureux, quand je contemple une femme suisse ou un paysage mauve, je pense à l'inclinaison de l'obus, je pense à chaque détail qui a poussé le soldat allemand à tirer son obus ici et maintenant, et non pas là et une seconde plus tôt ou plus tard, je pense à la folie de l'infime qui fait que je suis là. Et que mon grand-père était donc là survivant, et bienheureux de se sortir de cette galère à laquelle il ne comprenait rien.

Je reviens au détail, car c'est ce détail qui me rend fou. Une simple chute, et sa vie a basculé. Quelques millimètres ont suffi pour plonger un homme dans le périmètre de l'agonie.

Il est tombé dans la douche à cause d'une savonnette (je pense à ce mot : « savonnette »). Il s'est cassé deux côtes, et fracturé le crâne. Je l'ai vu à ce moment-là, il était affaibli, mais j'ai pensé qu'il s'en remettrait, que tout repartirait comme avant. Mais il n'y aurait plus jamais d'avant. Il allait enchaîner les problèmes physiques, jusqu'au dernier jour. Au début, j'étais très mal, je ne supportais pas de le voir ainsi, en homme blessé. Il détestait les visites, nous voir autour de son lit d'hôpital avec nos sourires pathétiques. Il ne voulait pas être aimé, il voulait être oublié, il voulait que personne ne lui rappelle à quel point il se sentait misérable. Ma grand-mère lui tenait compagnie chaque après-midi, tricotant, et je sentais que même cette présence lui était insupportable. Il aurait voulu la virer, il aurait voulu qu'on lui foute la paix, et crever. Cette période a duré si longtemps, des angines incessantes aux infections pulmonaires, comme s'il devait rattraper une vie entière de bonne santé. Et puis, on a repéré une lésion à l'œil. Il ne voyait presque plus. Il a voulu croire qu'il pourrait recouvrer entièrement la vue. Il était prêt à faire tous les exercices, à se plier aux ordres des excités de l'espoir. Mais sa souffrance lui brûlait le visage. Son autre œil clignait de manière pathétique, comme un appel au secours. Certains jours, il était défiguré.

Et maintenant, il est mort.

Dans la chambre, face à son corps, une image m'a saisi : la mouche. Une mouche posée sur son visage. C'était donc ça, la mort. Quand les mouches se posent sur nous et qu'on ne peut plus les chasser. C'est cette vision qui m'a été le plus pénible. Son immobilité agressée par cette grosse conne de mouche. Depuis, j'écrase toutes les mouches. On ne peut plus dire de moi : il ne ferait pas de mal à une mouche. Cette mouche-là, j'y ai pensé souvent par la suite, elle ne savait pas où elle avait posé ses pattes de mouche, elle ignorait tout de la vie de mon grand-père, elle s'arrêtait sur le dernier visage de mon grand-père, sans même savoir que cet homme avait été un adulte, un adolescent, un nouveau-né. Je suis resté un long moment à l'observer, puis mon père est arrivé. Avec un visage que je ne lui connaissais pas. Pour la première fois, je le voyais pleurer. C'était tellement étrange pour moi d'assister à ça Ses larmes étaient un poisson avec des jambes.

J'avais toujours eu l'impression que les parents ne pouvaient pas pleurer. En nous donnant la vie, ils se desséchaient les yeux. Nous sommes restés ainsi, silencieux, ce qui ne changeait pas nos habitudes. Mais il y avait comme un embarras. Celui d'extérioriser son chagrin. Les bons jours, je pouvais penser que la sécheresse affective de mon père était une forme de pudeur. Voilà que cette pudeur était mise à mal. Nous étions gênés de montrer notre douleur. Mais en même temps, rivés que nous sommes dans la mise en scène permanente de nos vies, on veut que ça se voie. On pleure pour montrer aux autres qu'on pleure.

Nous sommes restés un long moment sans parler. Trois générations d'hommes. J'ai pensé qu'il serait le prochain, et c'est ce qu'il devait penser lui aussi. Comme dans une guerre de tranchées, en tombant le soldat qui se trouve devant vous vous propulse au premier rang de la boucherie. Le père est celui qui pare la mort, qui protège. Quand il n'est plus, nous voilà accessible au rien. J'ai longtemps contemplé mon grand-père, et pourtant, ce n'était pas lui. J'avais aimé et connu un homme vivant. Là, c'était un masque de cire, un corps sans âme, une incarnation grotesque de la vie échappée.

Tous les membres de la famille sont arrivés, un par un, procession sinistre du dernier jour. Et ma grand-mère bien sûr, extrêmement digne, parvenant à rester debout alors que chaque parcelle d'elle était effondrée. Puis, subitement, elle s'est mise à crier. Des cris de douleur où elle hurlait son désir de le rejoindre aussitôt. Il y a dans cette génération qui s'enfuit l'idée concrète que l'on est unis pour la vie et pour la mort. Passer sa vie ensemble, c'est aussi mourir ensemble. J'ai senti que ma grand-mère était sincère. Il fallait la retenir. On tenta de la calmer, on lui fit boire un peu d'eau, mais sa douleur continuait de me sembler insoutenable. Quelques jours plus tard, au cimetière, elle se tint un moment devant le caveau. Elle savait qu'elle jetait une fleur sur sa future demeure. Il ne pleuvait plus, nous avons pleuré. On tenta de le résumer un peu, d'esquisser les souvenirs d'une vie, puis on le mit sous terre, et alors ce fut tout.

Les souvenirs par David Foenkinos, 266 p., 18,50 €. Copyright Gallimard.

En librairie dès aujourd'hui, le 18 Août.

jeudi 4 août 2011

Santé : 12 mois d'août dans l'année.

Petit bonus pour compléter le précepte de la chronique précédente : n'allez pas à l'hosto en Août...

J'ai été greffé du foie et des poumons un 1er mai... Etant arrivé dans un sale état à la greffe, plus proche du mec qu'on met directement en boîte vernie avec poignées en or que du type qu'on veut sauver, je dois reconnaître que les médecins ont vraiment réalisé des petits miracles...

24 heures passées au bloc, un mois d'un coma médicamenteux plus tard, puis un mois et demi de plus, toujours en réanimation, le temps de me remettre sur pied (au sens propre comme au figuré) et nous voilà déjà en juillet... J'use les nerfs des médecins et des infirmières qui aimeraient me voir dégager de la réanimation, mais après tout, c'est surtout moi le « patient ». Puis vient le service d'hospitalisation « normal », qui durera encore de très longues semaines : nous voici en Août...

J'ai déjà changé 2 fois de chambres dans ce grand hopital parisien (pour brouiller les pistes, appelons-le donc... GHEP : Grand Hôpital Enigmatique Parisien. ;-P ). J'avais une petite chambre mais le médecin a pu me faire transférer dans une chambre très spacieuse, immense, même, avec verrière et canapé pour les visiteurs. Mais à peine deux semaines plus tard, en août, l'hôpital regroupe tous les malades dans un service et ferme les autres. Je me retrouve dans une chambre cagibi, à peine la place pour tourner autour du lit. Grosse déprime... Quelques jours plus tard, on me redéménage dans une autre chambre. Visiblement, le jeu des chaises musicales continue, et je ne suis pas le seul dans ce cas là...

Mais il n'y a pas que les malades qui sont regroupés, les infirmières aussi... Des infirmières qui viennent de services différents, qui n'ont sans doute pas l'habitude de travailler ensemble. En plus, on gère la pénurie de personnel suite à la mise en place des 35 heures qui a complétement désorganisé l'hôpital. Comme d'habitude, on a rien anticipé, le dogme politique d'abord et advienne que pourra...

A cette époque, le gouvernement français a eu la géniale idée de faire venir des infirmières espagnoles pour essayer de juguler la pénurie de personnel. Après une rapide formation, les infirmières importées sont lâchées dans la nature. Le gouvernent a beau fanfaronner avec un bilan positif, la réalité est bien différente, le bilan plus que mitigé !

Et ça, je l'ai vécu...

La communication est très compliquée. On se comprend mal, on est obligé de faire appel à des infirmières françaises ou les aides soignantes pour pouvoir obtenir des informations précises ou être certain que les messages passent bien... Les infirmières espagnoles vivent sous pression, comme les autres certes, mais en plus elles ont le devoir de réussir, de s'intégrer, de gérer le stress. Elle ne connaissent pas les traitements, ni les us et coutumes français... Sur le plan personnel, elles sont loin de chez elles, et la vie d'une banlieusarde travaillant à Paris, ce n'est pas vraiment la Movida Espanola !

Bref : on voit que cette situation tape sur le système à tout le monde.

Juanita Banana est tendue comme un string dès qu'elle entre dans une chambre... Elle sent bien en face d'elle les réticences et les difficultés. Elle est toujours sur les nerfs, la moindre question ou remarque la fait s'emporter. Du coup, elle a fait des prises de sang une corrida qui ne me plaît pas... Pas de doute, ces jours forcés d'hospitalisation seront encore plus longs...

Ce sera bientôt le moment où l'on commence à vous habituer à préparer votre traitement. Une feuille recto-verso de médicaments... 3 comprimés de ceci, 1 et demi de cela, 6 de ça, une ampoule de truc, etc. La corvée que vous devrez gérer aussi à vie quand vous serez dehors...

Mais en vérité, mes parents et moi n'avons pas attendu pour commencer à contrôler ce qui était distribué comme médicament. Le fait de contrôler (pas fliquer... con-trô-ler... autrement dit s'intéresser un peu plus qu'un patient lambda à ce qu'on nous fait...) est une pratique qui irrite plutôt tout le monde.

Pour expliquer cet état d'esprit familial, il faut préciser que le passif est lourd. Mes parents ont perdu avant moi un enfant en bas âge après un long parcours dans les hôpitaux parisiens dans les années 70... Alors quand on a diagnostiqué à 14 ans ma mucoviscidose, cela a été un coup de massue sur le crâne. Un de plus. Depuis 15 ans de parcours médical, avec tous les hôpitaux et personnels médicaux fréquentés, nous avons appris ensemble qu'il valait mieux ne pas faire une confiance aveugle, qu'il fallait toujours rester vigilant, pour ceux qui ne le sont pas...

Au GHEP, un beau jour, sans prévenir : il n'y a plus d'anti-rejets dans les comprimés du matin. Évidemment, je le signale mais la réponse de l'infirmière est « si le médecin ne l'a pas prescrit... ». Alors j'insiste et je lui dis que ces médicaments me semblent indispensables, qu'il n'est pas possible d'arrêter pour un greffé... « Je vais voir... ». Sauf que quatre heures plus tard, toujours rien.

Ma mère fait le siège de l'infirmière cadre pour obtenir des explications et là, évidemment, on se rend compte qu'il y a un problème, la prescription informatique a bugué... A vrai dire, on a renouvelé l'ordonnance informatique sans contrôler si des médicaments avaient atteint la date butoir. Disparus automatiquement de la prescription, on (le médecin ? L'interne ?) ne s'est pas posé un instant la question. « On » connaît-il bien ses dossiers ? Est-ce que lui aussi gère plusieurs services en ce mois d'Août ?

Combien serais-je resté de temps sans prendre d'anti-rejets si je n'avais pas tiré la sonnette d'alarme ? En tous cas, voilà une raison de plus pour Juanita Banana de me détester car il est probable qu'elle se soit prise une avoinée...

Quelques jours plus tard, le médecin me prescrit une perfusion d'un médicament. Explications, discussion. Comme je suis diabétique, le médecin précise que le médicament doit être dilué dans du sérum glucosé afin de ne pas précipiter et que je devrai en tenir compte.

Évidemment, ça ne manque pas : la perfusion arrive l'après-midi, diluée dans une poche de sérum physiologique salé et le produit a commencé à cristalliser. On le signale immédiatement à l'aide soignante qui hausse les épaules. Je refuse qu'elle pose la perfusion... Une fois de plus, un clash : c'est toujours difficile de pointer les erreurs du personnel... Je suis le chieur de service, une fois de plus. Qu'importe !?

Tout serait si facile si j'étais un patient qui ne pose jamais de question, qui ne contrôle rien, qui n'oblige pas à faire un effort supplémentaire... Une infirmière me dit à l'époque : « Mais pourquoi est-ce qu'avec vous il y a toujours quelque chose ? ». J'aurais pu lui répondre, "Si tu fais les mêmes conneries avec les autres et qu'ils ne s'en rendent pas compte, c'est LEUR problème. Le mien est juste de sauver ma peau !".

Ni vu ni connu, je suis certain que bon nombre d'erreurs passent ainsi inaperçues à l'hosto, au petit bonheur la chance. Nous devons encaisser sans le savoir pas mal de choses, un médicament surdosé, un comprimé pour un autre, une perfusion mal administrée, une erreur d'aseptie, mais heureusement, les gens sont robustes dans l'ensemble ! « Le corps humain, c'est quelque chose... » comme dirait un célèbre médecin télévisuel (non pas Dr House, l'autre...)...

Aujourd'hui quand je lis dans des journaux le récit d'enchaînements improbables ayant conduit à des cas critiques ou des morts à l'hôpital, cela ne m'étonne même plus.

De l'hôpital, j'ai tout vu : l'infinie vigilance, l'excellence, le professionnalisme, l'empathie, le respect, la compréhension. Mais j'ai aussi vu le revers : la fatigue et la lassitude, le découragement, la fainéantise la plus tenace, la poussière qu'on met sous le tapis, la personne qui n'est pas à sa place, qui n'aime pas son métier, voire carrément l'incompétence...

Dans l'ensemble, cela s'est toujours bien passé, mais j'imagine que le mois d'Août, traditionnellement celui des réoganisations, des manques de moyens et des emplois du temps à trous est celui où il est le moins souhaitable d'être hospitalisé.

Le problème, c'est que la diminution des moyens pour la santé en France tend à faire de toute l'année un immense mois d'Août, avec ses compressions de personnel, toujours plus sur la brèche, toujours moins disponible... Une année avec 12 mois d'août, ça pourrait sembler sympa. Sauf que : ce sont les malades qui trinquent.

Alors, plus que jamais : restez vigilants dans les années à venir !

samedi 30 juillet 2011

Le conseil de la semaine.

De ma longue pratique des établissements hospitaliers en tous genres (je prévois de publier le Guide du Routard des hôpitaux et autant vous le dire : aucun n'aura trois fourchettes sur le plan des plateaux repas...) j'ai appris pas mal de choses qui peuvent vous sauver la vie dans la jungle de l'hosto. Ah, ca y est : je crois que j'ai capté votre attention, on dirait ! Donc maintenant, je fais durer un peu le suspens, forcément...

Si l'on écrivait les 10 commandements du patient, je pense que le conseil qui va suivre serait sans doute à faire figurer dans les toutes premières lignes, pile poil entre « Tu ne convoiteras pas l'infirmier qui a un regard de braise et un petit cul musclé » et « Tu ne faucheras pas la béquille de la vieille d'à côté juste pour rigoler. ». Ces deux conseils, sont : Ne pas aller à l'hôpital les jours de grève et ne pas séjourner à l'hôpital au mois d'août.

Quoi ? Vous êtes déçu, peut-être ? Et pourtant, c'est votre intégrité qui est en jeu.

Anecdote...

J'ai 15 ans – non, pas aujourd'hui, c'est une formule poétique pour nous replonger ensemble dans mon passé, mais je vous accorde qu'avec le billet précédent, vous pouviez douter...– je suis suivi par un professeur, super chef pédiatre du CHU : pas Dieu, ni le pape, mais au moins un évêque, appelons-le d'ailleurs comme tel. Le professeur Lévêque, donc, veut me voir régulièrement pour qu'on me fasse des endoscopie oesophagiennes. Il faut en effet surveiller des varices provoquées par une surtension portale, puisque je me trimbale une cirrhose du foie (tout ceci est compris dans le packaging « mucoviscidose », cadeau, pour le même prix...).

Principe de la fibroscopie : on plonge un tube muni d'une caméra de la bouche à l'estomac... Tout ça pour aller voir votre « beauté intérieure » parce que vous le valez bien !

L'hosto en question est un de ces vieux hôpitaux hérités des congrégations religieuses qui les géraient à la veille de la révolution française. Pas vraiment le top pour l'hôpital du XXième siècle... Le bloc pour les fibros est installé dans un pavillon exigu, où les brancards se gênent et attendent dans le couloir.

Ma première fois n'est pas un succès. On essaye de me faire avaler la caméra, mais sensible comme je suis de la gorge, c'est un vrai calvaire. En plus on m'avait parlé d'une anesthésie de la gorge or je sens tout à fait le fibroscope ! Je me débats, je dégobille de la bile en hurlant et au final, le médecin n'a pas vraiment vu ce qu'il voulait voir... J'en suis ressorti dans tous mes états, choqué par le côté barbare de l'affaire.

Quelques mois plus tard, deuxième essai. Ne voulant pas revivre la même chose, je demande impérativement à subir une anesthésie générale, acceptée par le Professeur Lévêque. Tout ceci est prévu de longue date, j'ai vu un anesthésiste quelques jours auparavant, mais le jour J, je débarque dans un hôpital dont les anesthésistes sont en grève. Plutôt que de me renvoyer chez moi, on ne nous dit rien.

En fait, c'est le merdier. Les réquisitionnés sont mobilisés sur les urgences, on annule certaines opérations, les examens prennent du retard... Et cette dernière précision prend tout son sens quand vous devez rester à jeûn de la veille jusqu'à l'examen prévu à 8h mais décalé en début d'après-midi. Quand je suis appelé enfin au bloc, je pars relativement confiant, avec la certitude de me réveiller dans quelques heures sans avoir le moindre souvenir de cette horrible examen et la perspective d'un solide plateau repas quelques heures plus tard (on se motive comme on peut !).

J'arrive au bloc. C'est un bordel indescriptible. C'est tout juste si on empile pas les brancards les uns sur les autres. Les brancardiers attendent au moins 10 bonnes minutes sous la bruine et par 10 degrés avant de pouvoir rentrer à l'intérieur. Planqué dans la couverture, je commence déjà à trouver le temps long. Une heure plus tard, je rentre enfin au bloc.

Le médecin est là, ainsi que plusieurs infirmières et infirmiers format maousse costauds... Je précise que j'ai demandé une anesthésie générale, le médecin me dit « oui on sait », et continue de préparer son affaire tandis qu'on me prépare. Quelques heures plus tôt dans le service, on m'a posé un cathéter en prévision de l'anesthésie et pour me passer du glucose, histoire de tenir le jeûn...

Au moment de procéder à la fibro, on vous installe une canule dans la bouche, maintenue par des sangles. Ca fait très accessoire sado-maso, mais à ce moment là, j'ai d'autres préoccupations en tête... Juste avant, je demande « mais vous ne m'endormez pas ? ». Le médecin me répond « si si mais mettez d'abord la canule. ».

Ceci fait, il approche le fibroscope de ma bouche, et je commence à flipper...

« Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer ! »

Effectivement : les infirmières me sautent dessus (il n'y a pas d'autre mot...) pour m'immobiliser, jambes, bras : j'ai quatre personnes couchées sur moi. Le médecin commence à introduire le fibroscope, sans m'anesthésier... Je hurle et je remue autant que je peux. Le fibroscope me déchire la gorge, je sanglote, je pleure, je me tords de douleur tout en étant pris de hauts le coeur.

Je suis en état de choc. On me transfert de brancard et on me remet dans le couloir après quelques mots d'encouragement pour dédramatiser la situation... Et je chiale toujours... Mes parents arrivent un peu plus tard, et me découvrent dans cet état, prostré. Entre deux sanglots, je leur explique ce que je viens de subir.

Mon père sonne à la porte du bloc et réclame des explications... Le médecin daigne se présenter un peu plus tard, très arrogant, très sûr de lui. Il élude, il a du boulot...

Ce que je viens de subir, c'est un viol. Ni plus ni moins. Je le ressens comme tel encore aujourd'hui... De retour en pédiatrie, après avoir repris un peu mes esprits, je raconte l'histoire. Silence gêné du Prof. Explications demandées à l'intéressé par téléphone, qui s'excuse : « ben oui mais vous comprenez, y'avait pas d'anesthésiste, alors pour une fibro gastrique, quand même... »

Tout ceci s'est déroulé à une époque où l'on ne parlait pas trop encore de chartes du patient et où l'enfant ou l'ado n'avait pas le droit de protester...

Aujourd'hui encore, les comptes ne sont toujours pas soldés sur cette affaire, c'est une cicatrice – de plus – qui ne s'efface pas. Avec le temps, j'ai mis mon mouchoir dessus mais j'aimerais bien pouvoir retrouver cet empaffé et lui coller une bonne baffe, sans anesthésie bien entendu !

Néanmoins, ce médecin qui a m'a trahi, m'a appris une deuxième chose essentielle au delà des problématiques de grève : ne jamais faire totalement confiance à la personne en face de vous. Même si c'est un médecin, même une grosse pointure... Ne pas hésiter demander, poser des questions, pointer les contradictions, à ouvrir sa gueule quand quelque chose semble aller de travers, gentiment d'abord, puis méchamment si on ne vous prend pas au sérieux (ce que je n'ai jamais eu besoin de faire...). Ne pas oublier que vous n'êtes pas le jouet d'un médecin. Qu'il est possible aussi de changer de crèmerie, d'aller consulter ailleurs ou de demander un autre avis médical...

D'une certaine façon, ce jour là, j'ai cessé d'être « le patient » qui subit et qui s'en remet corps et âme à son sauveur. Je suis devenu un patient « chiant » , un empêcheur de tourner en rond.

Et cette déduction m'a également beaucoup servi, on en reparlera sur ce blog...

L'affaire en est restée là, dans ma petite tête j'aurais bien voulu être reconnu dans ma souffrance... Mais à 14 ans, il n'en a rien été. Je suis donc la Tristane Banon de la Fibroscopie !

Et si je portais plainte aujourd'hui ? Y'a prescription vous croyez ? :-)

vendredi 22 juillet 2011

Happy birthday to me

L'inconvénient quand on a des parents qui ont forniqué (ou fort niqué...) en octobre, c'est que vous êtes abonné à vie aux anniversaires un peu tristounets.

Vous avez le bonheur d'être né en Juillet : vos potes sont donc partis pour la plupart en vacances ou bien c'est vous qui avez eu la bonne idée de partir dans le Larzac, pile poil à ce moment là... Du coup,dans le meilleur des cas, la surboum tourne un peu au Dîner presque parfait en petit comité, ou pire, au tête à tête en amoureux avec Blanchette, la jeune chèvre alpine chamoisée qui ne vous lâche plus d'une semelle depuis que vous lui avez donné votre dernier quignon de pain, lors d'une belle mais crevante randonnée dans le parc naturel des Grands-Causses, et je mets un point à cette phrase si je veux, c'est mon blog.

Bon, dit comme ça, vous allez dire que ça fait un peu pauvresse façon Bridget Jones – sa boîte de kleenex, son sofa, son pot de glace et un dvd de Tom Hanks et Meg Ryan pour passer la soirée – mais je me suis fait la réflexion plus d'une fois au cours de ma vie... Et puis les surboum à la rentrée, c'est pas le moment... Il faut faire ça au mois de Juin, et avouez, fêter son anniversaire à contre-temps, c'est pas drôle...

Tout ça pour dire que je hais les anniversaires. Le mien, surtout. Peut-être que cette fâcheuse obligation de devoir le célébrer l'été y est pour quelque chose. Un certain nombre d'entre eux n'ont pas toujours été la fête escomptée pour cause de réjouissances médicales, et ça doit jouer un peu également...

Mais bon, si je gratte bien le vernis, je sais bien qu'au fond, je hais en fait tout ce qui me rappelle que le temps passe : fêtes, saisons, montres... Pour le coup, c'est une nouvelle pathologie que j'ajoute à mon arc. Mefia te ! Je suis le capitaine Crochet : je peux tuer pour un tic-tac d'horloge ! Je ne porte pas de montre exprès. Je suis fâché avec la ponctualité... Je ne veux vivre qu'au présent pour tenter désespérément de ralentir le temps. Est-ce un hasard si je n'ai jamais fait mon âge ?

Le problème, c'est qu'au fond, je sais très bien qu'arrêter le temps ne me donnera jamais la jeunesse et l'adolescence dont je rêvais et rêve encore. Je SAIS que ce temps est révolu et que je n'aurai plus jamais les cartes en main. D'autres jouent à ma place... Tout effacer, recommencer, dans un autre corps, non ? Pas possible ?

Avec l'âge en plus, chaque anniversaire devient lourd de sous-entendus : ah ben tiens, bravo, t'es encore là, qui aurait parié y'a encore 5 ans, hein ?! Je deviens le sursitaire à inscrire dans le Guiness des records... World champion : muco, greffé, diabétique, dialysé, en attente de greffe rénale – excusez : j'abrège – MAIS toujours là !

Alors vous allez dire, chatouilleux comme il est sur cette question, c'est pas le moment de lui demander son âge dans les commentaires parce que je vais me faire envoyer paitre... Pas du tout : puisque vous voulez le savoir, j'ai 6 ans. Parfaitement ! Dans un an, j'aurai l'âge de raison... Enfin si j'y arrive, hein, dans mon cas on est sûr de rien... Souchon chantait bien « J'ai dix ans... je sais que c'est pas vrai, mais j'ai dix ans... ». Eh bien moi j'en ai six. Voilà.

6 ans après G.O. Ah oui, j'ai oublié de vous dire, j'ai mon propre calendrier. En plus, Jésus Christ je n'y crois pas... Jacques Chirac, encore moins... Non : G.O. comme Greffe d'Organes. Ca au moins, j'y crois, j'ai vu de mes yeux et je peux témoigner que ça marche (et pas sur l'eau...) !

Eh oui, quand je vous disais que j'ai toujours eu des anniversaires un peu zarbi, pour mes trente ans, j'ai eu le droit à un foie tout neuf (enfin, à dire vrai, il était d'occasion !) et à deux poumons itou. Joli cadeau, il faut le reconnaître, même si, sur le moment, je n'étais pas en état de mesurer à quel point cet anniversaire était heureux.

C'était à pile ou face : ou bien cet anniversaire serait à marquer d'une pierre blanche ou bien il serait à marquer d'une pierre tombale. La faucheuse a attendu dans le couloir de la réanimation. Elle a fait le guet un paquet de semaines... Sans succès.

Je suis toujours là, nananèreuh.

Donc, j'ai six ans...

Et ... oh putain : dans dix ans, si ça se trouve, j'aurai des boutons d'acné !

Vie de merde, tiens !

mercredi 20 juillet 2011

Incident déclencheur.

Bon allez, il faut bien se lancer, non ?

J'avais promis de raconter... Mais au moment de prendre le clavier, je me dis que cet exercice d'introspection ne me laissera peut-être pas indemne. La résilience est devenue une seconde nature chez moi. J'oublie à mesure que je vis, histoire de ne pas m'encombrer de souvenirs pesants. (Et même les bons disparaissent aussi à présent.... fichue mémoire !) Mais on oublie jamais totalement. Tout au plus, met-on la poussière sous le tapis...

J'ai appris à vivre au jour le jour. Pas de passé, pas d'avenir. Et inversement. Juste le temps présent et les quelques heures qui suivent, en me payant le luxe quand le destin ne s'en charge pas lui même, de changer mes plans à la dernière minute, juste comme ça, pour me donner un sentiment de liberté, pour reprendre le contrôle sur les événements. Après tout, Don Quichotte ne voyait pas non plus de moulins à vent. A chacun ses illusions...

Voici donc mon expérience... Ces billets sont écrit d'après souvenirs, avec la part d'autofiction que cela comporte puisqu'on a toujours tendance à enjoliver les choses ou à plaquer après coup des réflexions ou des impressions.

Et puisqu'il faut bien un petit résumé pour que vous situiez un peu mieux mon cas, le voici...

1989... J'ai 14 ans. Je rentre d'un voyage scolaire en Angleterre, passablement affaibli par deux semaines de viande bouillie avec sauce à la menthe, de pluie, de froid. Depuis quelques temps, j'ai l'impression de tenir une crève qui ne passe pas. Je crache mes poumons. De bons vieux crachats verdâtres. Ça commence à inquiéter mes parents et même moi, d'ordinaire assez peu centré sur ma santé, je perçois bien qu'il y a un problème.

Alors on prend rendez-vous chez le médecin qui est censé vous remettre d'équerre. Le Dr d'Equerre(appelons-le comme tel, puisque tous les noms de ce blog sont changés...) est un bon gros toubib jovial qui a conservé son humour de carabin et qui fume comme un pompier. Grosse clientèle dans cette ville de 50.000 habitants, il est connu comme le loup blanc. Inversement, il vous connaît depuis toujours... Trop bien d'ailleurs : dès que vous rentrez dans son cabinet, il sait déjà ce qu'il va vous dire et vous prescrire. Il a l'habitude, il la connaît, sa clientèle. Avec son lot de gamins enrhumés et de parents inquiets... Soigner les uns et calmer les autres. C'est son job.

Pourtant, cette fois, votre cas l'inquiète. Il semble pour la première fois vous considérer comme un nouveau patient. L'auscultation se prolonge. C'est vrai que vous avez toujours été un peu chétif. Un peu malade. Souvent avec des bronchites. Vos courbes de poids sur le carnet de santé ont commencé à plonger sous les normes assez tôt, mais après tout, il suffisait juste qu'il mange, ce petit gars.

Mais cette fois, votre cas l'inquiète... L'accumulation de symptômes qui ne l'avaient pas frappés jusqu'alors semble produire un chamboulement chez cet homme, comme un affreux pressentiment, celui d'avoir été frappé de cécité pendant de trop nombreuses années.

Pour la première fois, un pli soucieux lui barre le front (qu'il a jusqu'à la nuque), mais il se veut encore rassurant. Il ne pose pas de diagnostic. Par prudence, pour conjurer le mauvais sort ou bien simplement parce qu'il aurait fallu expliquer le pourquoi du comment. Il a la trouille d'avoir raison, il serait passé 14 ans à côté... Le mieux est peut-être d'aller consulter à l'hôpital. Sans tarder, toutefois. Eux feront d'autres tests. Et ils verront ce que lui n'a pas vu.

Après de nouveaux examens pour établir un bon gros bilan, pour la première fois, ils prononceront le nom de Mucoviscidose. Pardon ? Vous pouvez répéter ?

Quelques gouttes de sueur sur un papier réactif et l'affaire est entendue... Le test est imparable ou presque. A cette époque, on balbutie en génétique, c'est donc sur la foi d'une bandelette de papier que mon destin se scelle. Une bandelette insolente à proclamer que la vie sera à présent toute autre. Oui, ce pacte avec le diable, je l'ai signé de ma sueur.

Toujours couvé par les parents, je ne prends pas encore la mesure de tout ce que cela implique. De l'hôpital de province, je suis adressé au professeur du CHU d'à côté. Qui confirme à son tour. Je ne prends toujours pas conscience de la gravité des choses. Je m'impatiente. Tout ceci m'ennuie. Quand est-ce que cela va s'arrêter ? La prise de conscience viendra un peu plus tard : jamais. Je suis abonné à vie à ces réjouissances, à voir des blouses blanches, aux examens en tous genres.

J'ai 14 ans, l'âge auquel mes copains commencent à être libres comme l'air. L'âge auquel on commence à faire des projets d'avenir. L'âge auquel on est tourmenté à bon escient, entre l'enfance et le gouffre béant qui s'ouvre, celui de votre vie d'adulte. J'ai 14 ans et je lis dans une brochure sur la mucoviscidose que l'espérance de vie des malades est de 14 ans.

L'information brute me fait l'effet d'une gifle. Enfin ! Bien-sûr : c'est une moyenne,. Bien-sûr : le professeur soigne des mucos qui sont adultes. N'empêche. Je cesse d'être moi à cet instant là. Tout ce que j'endure depuis des semaines sans l'intellectualiser, protégé par les parents, sans vouloir y croire, les examens, les séances de kiné qui ont commencé, les médicaments à tous les repas, ça devient lumineux en cet instant. Lumineux, et terriblement sombre.

Cette année là, je passe pour la première fois de ma vie mon anniversaire à l'hôpital... Ca ne sera pas la dernière...