mercredi 20 juillet 2011

Incident déclencheur.

Bon allez, il faut bien se lancer, non ?

J'avais promis de raconter... Mais au moment de prendre le clavier, je me dis que cet exercice d'introspection ne me laissera peut-être pas indemne. La résilience est devenue une seconde nature chez moi. J'oublie à mesure que je vis, histoire de ne pas m'encombrer de souvenirs pesants. (Et même les bons disparaissent aussi à présent.... fichue mémoire !) Mais on oublie jamais totalement. Tout au plus, met-on la poussière sous le tapis...

J'ai appris à vivre au jour le jour. Pas de passé, pas d'avenir. Et inversement. Juste le temps présent et les quelques heures qui suivent, en me payant le luxe quand le destin ne s'en charge pas lui même, de changer mes plans à la dernière minute, juste comme ça, pour me donner un sentiment de liberté, pour reprendre le contrôle sur les événements. Après tout, Don Quichotte ne voyait pas non plus de moulins à vent. A chacun ses illusions...

Voici donc mon expérience... Ces billets sont écrit d'après souvenirs, avec la part d'autofiction que cela comporte puisqu'on a toujours tendance à enjoliver les choses ou à plaquer après coup des réflexions ou des impressions.

Et puisqu'il faut bien un petit résumé pour que vous situiez un peu mieux mon cas, le voici...

1989... J'ai 14 ans. Je rentre d'un voyage scolaire en Angleterre, passablement affaibli par deux semaines de viande bouillie avec sauce à la menthe, de pluie, de froid. Depuis quelques temps, j'ai l'impression de tenir une crève qui ne passe pas. Je crache mes poumons. De bons vieux crachats verdâtres. Ça commence à inquiéter mes parents et même moi, d'ordinaire assez peu centré sur ma santé, je perçois bien qu'il y a un problème.

Alors on prend rendez-vous chez le médecin qui est censé vous remettre d'équerre. Le Dr d'Equerre(appelons-le comme tel, puisque tous les noms de ce blog sont changés...) est un bon gros toubib jovial qui a conservé son humour de carabin et qui fume comme un pompier. Grosse clientèle dans cette ville de 50.000 habitants, il est connu comme le loup blanc. Inversement, il vous connaît depuis toujours... Trop bien d'ailleurs : dès que vous rentrez dans son cabinet, il sait déjà ce qu'il va vous dire et vous prescrire. Il a l'habitude, il la connaît, sa clientèle. Avec son lot de gamins enrhumés et de parents inquiets... Soigner les uns et calmer les autres. C'est son job.

Pourtant, cette fois, votre cas l'inquiète. Il semble pour la première fois vous considérer comme un nouveau patient. L'auscultation se prolonge. C'est vrai que vous avez toujours été un peu chétif. Un peu malade. Souvent avec des bronchites. Vos courbes de poids sur le carnet de santé ont commencé à plonger sous les normes assez tôt, mais après tout, il suffisait juste qu'il mange, ce petit gars.

Mais cette fois, votre cas l'inquiète... L'accumulation de symptômes qui ne l'avaient pas frappés jusqu'alors semble produire un chamboulement chez cet homme, comme un affreux pressentiment, celui d'avoir été frappé de cécité pendant de trop nombreuses années.

Pour la première fois, un pli soucieux lui barre le front (qu'il a jusqu'à la nuque), mais il se veut encore rassurant. Il ne pose pas de diagnostic. Par prudence, pour conjurer le mauvais sort ou bien simplement parce qu'il aurait fallu expliquer le pourquoi du comment. Il a la trouille d'avoir raison, il serait passé 14 ans à côté... Le mieux est peut-être d'aller consulter à l'hôpital. Sans tarder, toutefois. Eux feront d'autres tests. Et ils verront ce que lui n'a pas vu.

Après de nouveaux examens pour établir un bon gros bilan, pour la première fois, ils prononceront le nom de Mucoviscidose. Pardon ? Vous pouvez répéter ?

Quelques gouttes de sueur sur un papier réactif et l'affaire est entendue... Le test est imparable ou presque. A cette époque, on balbutie en génétique, c'est donc sur la foi d'une bandelette de papier que mon destin se scelle. Une bandelette insolente à proclamer que la vie sera à présent toute autre. Oui, ce pacte avec le diable, je l'ai signé de ma sueur.

Toujours couvé par les parents, je ne prends pas encore la mesure de tout ce que cela implique. De l'hôpital de province, je suis adressé au professeur du CHU d'à côté. Qui confirme à son tour. Je ne prends toujours pas conscience de la gravité des choses. Je m'impatiente. Tout ceci m'ennuie. Quand est-ce que cela va s'arrêter ? La prise de conscience viendra un peu plus tard : jamais. Je suis abonné à vie à ces réjouissances, à voir des blouses blanches, aux examens en tous genres.

J'ai 14 ans, l'âge auquel mes copains commencent à être libres comme l'air. L'âge auquel on commence à faire des projets d'avenir. L'âge auquel on est tourmenté à bon escient, entre l'enfance et le gouffre béant qui s'ouvre, celui de votre vie d'adulte. J'ai 14 ans et je lis dans une brochure sur la mucoviscidose que l'espérance de vie des malades est de 14 ans.

L'information brute me fait l'effet d'une gifle. Enfin ! Bien-sûr : c'est une moyenne,. Bien-sûr : le professeur soigne des mucos qui sont adultes. N'empêche. Je cesse d'être moi à cet instant là. Tout ce que j'endure depuis des semaines sans l'intellectualiser, protégé par les parents, sans vouloir y croire, les examens, les séances de kiné qui ont commencé, les médicaments à tous les repas, ça devient lumineux en cet instant. Lumineux, et terriblement sombre.

Cette année là, je passe pour la première fois de ma vie mon anniversaire à l'hôpital... Ca ne sera pas la dernière...

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