samedi 30 juillet 2011

Le conseil de la semaine.

De ma longue pratique des établissements hospitaliers en tous genres (je prévois de publier le Guide du Routard des hôpitaux et autant vous le dire : aucun n'aura trois fourchettes sur le plan des plateaux repas...) j'ai appris pas mal de choses qui peuvent vous sauver la vie dans la jungle de l'hosto. Ah, ca y est : je crois que j'ai capté votre attention, on dirait ! Donc maintenant, je fais durer un peu le suspens, forcément...

Si l'on écrivait les 10 commandements du patient, je pense que le conseil qui va suivre serait sans doute à faire figurer dans les toutes premières lignes, pile poil entre « Tu ne convoiteras pas l'infirmier qui a un regard de braise et un petit cul musclé » et « Tu ne faucheras pas la béquille de la vieille d'à côté juste pour rigoler. ». Ces deux conseils, sont : Ne pas aller à l'hôpital les jours de grève et ne pas séjourner à l'hôpital au mois d'août.

Quoi ? Vous êtes déçu, peut-être ? Et pourtant, c'est votre intégrité qui est en jeu.

Anecdote...

J'ai 15 ans – non, pas aujourd'hui, c'est une formule poétique pour nous replonger ensemble dans mon passé, mais je vous accorde qu'avec le billet précédent, vous pouviez douter...– je suis suivi par un professeur, super chef pédiatre du CHU : pas Dieu, ni le pape, mais au moins un évêque, appelons-le d'ailleurs comme tel. Le professeur Lévêque, donc, veut me voir régulièrement pour qu'on me fasse des endoscopie oesophagiennes. Il faut en effet surveiller des varices provoquées par une surtension portale, puisque je me trimbale une cirrhose du foie (tout ceci est compris dans le packaging « mucoviscidose », cadeau, pour le même prix...).

Principe de la fibroscopie : on plonge un tube muni d'une caméra de la bouche à l'estomac... Tout ça pour aller voir votre « beauté intérieure » parce que vous le valez bien !

L'hosto en question est un de ces vieux hôpitaux hérités des congrégations religieuses qui les géraient à la veille de la révolution française. Pas vraiment le top pour l'hôpital du XXième siècle... Le bloc pour les fibros est installé dans un pavillon exigu, où les brancards se gênent et attendent dans le couloir.

Ma première fois n'est pas un succès. On essaye de me faire avaler la caméra, mais sensible comme je suis de la gorge, c'est un vrai calvaire. En plus on m'avait parlé d'une anesthésie de la gorge or je sens tout à fait le fibroscope ! Je me débats, je dégobille de la bile en hurlant et au final, le médecin n'a pas vraiment vu ce qu'il voulait voir... J'en suis ressorti dans tous mes états, choqué par le côté barbare de l'affaire.

Quelques mois plus tard, deuxième essai. Ne voulant pas revivre la même chose, je demande impérativement à subir une anesthésie générale, acceptée par le Professeur Lévêque. Tout ceci est prévu de longue date, j'ai vu un anesthésiste quelques jours auparavant, mais le jour J, je débarque dans un hôpital dont les anesthésistes sont en grève. Plutôt que de me renvoyer chez moi, on ne nous dit rien.

En fait, c'est le merdier. Les réquisitionnés sont mobilisés sur les urgences, on annule certaines opérations, les examens prennent du retard... Et cette dernière précision prend tout son sens quand vous devez rester à jeûn de la veille jusqu'à l'examen prévu à 8h mais décalé en début d'après-midi. Quand je suis appelé enfin au bloc, je pars relativement confiant, avec la certitude de me réveiller dans quelques heures sans avoir le moindre souvenir de cette horrible examen et la perspective d'un solide plateau repas quelques heures plus tard (on se motive comme on peut !).

J'arrive au bloc. C'est un bordel indescriptible. C'est tout juste si on empile pas les brancards les uns sur les autres. Les brancardiers attendent au moins 10 bonnes minutes sous la bruine et par 10 degrés avant de pouvoir rentrer à l'intérieur. Planqué dans la couverture, je commence déjà à trouver le temps long. Une heure plus tard, je rentre enfin au bloc.

Le médecin est là, ainsi que plusieurs infirmières et infirmiers format maousse costauds... Je précise que j'ai demandé une anesthésie générale, le médecin me dit « oui on sait », et continue de préparer son affaire tandis qu'on me prépare. Quelques heures plus tôt dans le service, on m'a posé un cathéter en prévision de l'anesthésie et pour me passer du glucose, histoire de tenir le jeûn...

Au moment de procéder à la fibro, on vous installe une canule dans la bouche, maintenue par des sangles. Ca fait très accessoire sado-maso, mais à ce moment là, j'ai d'autres préoccupations en tête... Juste avant, je demande « mais vous ne m'endormez pas ? ». Le médecin me répond « si si mais mettez d'abord la canule. ».

Ceci fait, il approche le fibroscope de ma bouche, et je commence à flipper...

« Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer ! »

Effectivement : les infirmières me sautent dessus (il n'y a pas d'autre mot...) pour m'immobiliser, jambes, bras : j'ai quatre personnes couchées sur moi. Le médecin commence à introduire le fibroscope, sans m'anesthésier... Je hurle et je remue autant que je peux. Le fibroscope me déchire la gorge, je sanglote, je pleure, je me tords de douleur tout en étant pris de hauts le coeur.

Je suis en état de choc. On me transfert de brancard et on me remet dans le couloir après quelques mots d'encouragement pour dédramatiser la situation... Et je chiale toujours... Mes parents arrivent un peu plus tard, et me découvrent dans cet état, prostré. Entre deux sanglots, je leur explique ce que je viens de subir.

Mon père sonne à la porte du bloc et réclame des explications... Le médecin daigne se présenter un peu plus tard, très arrogant, très sûr de lui. Il élude, il a du boulot...

Ce que je viens de subir, c'est un viol. Ni plus ni moins. Je le ressens comme tel encore aujourd'hui... De retour en pédiatrie, après avoir repris un peu mes esprits, je raconte l'histoire. Silence gêné du Prof. Explications demandées à l'intéressé par téléphone, qui s'excuse : « ben oui mais vous comprenez, y'avait pas d'anesthésiste, alors pour une fibro gastrique, quand même... »

Tout ceci s'est déroulé à une époque où l'on ne parlait pas trop encore de chartes du patient et où l'enfant ou l'ado n'avait pas le droit de protester...

Aujourd'hui encore, les comptes ne sont toujours pas soldés sur cette affaire, c'est une cicatrice – de plus – qui ne s'efface pas. Avec le temps, j'ai mis mon mouchoir dessus mais j'aimerais bien pouvoir retrouver cet empaffé et lui coller une bonne baffe, sans anesthésie bien entendu !

Néanmoins, ce médecin qui a m'a trahi, m'a appris une deuxième chose essentielle au delà des problématiques de grève : ne jamais faire totalement confiance à la personne en face de vous. Même si c'est un médecin, même une grosse pointure... Ne pas hésiter demander, poser des questions, pointer les contradictions, à ouvrir sa gueule quand quelque chose semble aller de travers, gentiment d'abord, puis méchamment si on ne vous prend pas au sérieux (ce que je n'ai jamais eu besoin de faire...). Ne pas oublier que vous n'êtes pas le jouet d'un médecin. Qu'il est possible aussi de changer de crèmerie, d'aller consulter ailleurs ou de demander un autre avis médical...

D'une certaine façon, ce jour là, j'ai cessé d'être « le patient » qui subit et qui s'en remet corps et âme à son sauveur. Je suis devenu un patient « chiant » , un empêcheur de tourner en rond.

Et cette déduction m'a également beaucoup servi, on en reparlera sur ce blog...

L'affaire en est restée là, dans ma petite tête j'aurais bien voulu être reconnu dans ma souffrance... Mais à 14 ans, il n'en a rien été. Je suis donc la Tristane Banon de la Fibroscopie !

Et si je portais plainte aujourd'hui ? Y'a prescription vous croyez ? :-)

vendredi 22 juillet 2011

Happy birthday to me

L'inconvénient quand on a des parents qui ont forniqué (ou fort niqué...) en octobre, c'est que vous êtes abonné à vie aux anniversaires un peu tristounets.

Vous avez le bonheur d'être né en Juillet : vos potes sont donc partis pour la plupart en vacances ou bien c'est vous qui avez eu la bonne idée de partir dans le Larzac, pile poil à ce moment là... Du coup,dans le meilleur des cas, la surboum tourne un peu au Dîner presque parfait en petit comité, ou pire, au tête à tête en amoureux avec Blanchette, la jeune chèvre alpine chamoisée qui ne vous lâche plus d'une semelle depuis que vous lui avez donné votre dernier quignon de pain, lors d'une belle mais crevante randonnée dans le parc naturel des Grands-Causses, et je mets un point à cette phrase si je veux, c'est mon blog.

Bon, dit comme ça, vous allez dire que ça fait un peu pauvresse façon Bridget Jones – sa boîte de kleenex, son sofa, son pot de glace et un dvd de Tom Hanks et Meg Ryan pour passer la soirée – mais je me suis fait la réflexion plus d'une fois au cours de ma vie... Et puis les surboum à la rentrée, c'est pas le moment... Il faut faire ça au mois de Juin, et avouez, fêter son anniversaire à contre-temps, c'est pas drôle...

Tout ça pour dire que je hais les anniversaires. Le mien, surtout. Peut-être que cette fâcheuse obligation de devoir le célébrer l'été y est pour quelque chose. Un certain nombre d'entre eux n'ont pas toujours été la fête escomptée pour cause de réjouissances médicales, et ça doit jouer un peu également...

Mais bon, si je gratte bien le vernis, je sais bien qu'au fond, je hais en fait tout ce qui me rappelle que le temps passe : fêtes, saisons, montres... Pour le coup, c'est une nouvelle pathologie que j'ajoute à mon arc. Mefia te ! Je suis le capitaine Crochet : je peux tuer pour un tic-tac d'horloge ! Je ne porte pas de montre exprès. Je suis fâché avec la ponctualité... Je ne veux vivre qu'au présent pour tenter désespérément de ralentir le temps. Est-ce un hasard si je n'ai jamais fait mon âge ?

Le problème, c'est qu'au fond, je sais très bien qu'arrêter le temps ne me donnera jamais la jeunesse et l'adolescence dont je rêvais et rêve encore. Je SAIS que ce temps est révolu et que je n'aurai plus jamais les cartes en main. D'autres jouent à ma place... Tout effacer, recommencer, dans un autre corps, non ? Pas possible ?

Avec l'âge en plus, chaque anniversaire devient lourd de sous-entendus : ah ben tiens, bravo, t'es encore là, qui aurait parié y'a encore 5 ans, hein ?! Je deviens le sursitaire à inscrire dans le Guiness des records... World champion : muco, greffé, diabétique, dialysé, en attente de greffe rénale – excusez : j'abrège – MAIS toujours là !

Alors vous allez dire, chatouilleux comme il est sur cette question, c'est pas le moment de lui demander son âge dans les commentaires parce que je vais me faire envoyer paitre... Pas du tout : puisque vous voulez le savoir, j'ai 6 ans. Parfaitement ! Dans un an, j'aurai l'âge de raison... Enfin si j'y arrive, hein, dans mon cas on est sûr de rien... Souchon chantait bien « J'ai dix ans... je sais que c'est pas vrai, mais j'ai dix ans... ». Eh bien moi j'en ai six. Voilà.

6 ans après G.O. Ah oui, j'ai oublié de vous dire, j'ai mon propre calendrier. En plus, Jésus Christ je n'y crois pas... Jacques Chirac, encore moins... Non : G.O. comme Greffe d'Organes. Ca au moins, j'y crois, j'ai vu de mes yeux et je peux témoigner que ça marche (et pas sur l'eau...) !

Eh oui, quand je vous disais que j'ai toujours eu des anniversaires un peu zarbi, pour mes trente ans, j'ai eu le droit à un foie tout neuf (enfin, à dire vrai, il était d'occasion !) et à deux poumons itou. Joli cadeau, il faut le reconnaître, même si, sur le moment, je n'étais pas en état de mesurer à quel point cet anniversaire était heureux.

C'était à pile ou face : ou bien cet anniversaire serait à marquer d'une pierre blanche ou bien il serait à marquer d'une pierre tombale. La faucheuse a attendu dans le couloir de la réanimation. Elle a fait le guet un paquet de semaines... Sans succès.

Je suis toujours là, nananèreuh.

Donc, j'ai six ans...

Et ... oh putain : dans dix ans, si ça se trouve, j'aurai des boutons d'acné !

Vie de merde, tiens !

mercredi 20 juillet 2011

Incident déclencheur.

Bon allez, il faut bien se lancer, non ?

J'avais promis de raconter... Mais au moment de prendre le clavier, je me dis que cet exercice d'introspection ne me laissera peut-être pas indemne. La résilience est devenue une seconde nature chez moi. J'oublie à mesure que je vis, histoire de ne pas m'encombrer de souvenirs pesants. (Et même les bons disparaissent aussi à présent.... fichue mémoire !) Mais on oublie jamais totalement. Tout au plus, met-on la poussière sous le tapis...

J'ai appris à vivre au jour le jour. Pas de passé, pas d'avenir. Et inversement. Juste le temps présent et les quelques heures qui suivent, en me payant le luxe quand le destin ne s'en charge pas lui même, de changer mes plans à la dernière minute, juste comme ça, pour me donner un sentiment de liberté, pour reprendre le contrôle sur les événements. Après tout, Don Quichotte ne voyait pas non plus de moulins à vent. A chacun ses illusions...

Voici donc mon expérience... Ces billets sont écrit d'après souvenirs, avec la part d'autofiction que cela comporte puisqu'on a toujours tendance à enjoliver les choses ou à plaquer après coup des réflexions ou des impressions.

Et puisqu'il faut bien un petit résumé pour que vous situiez un peu mieux mon cas, le voici...

1989... J'ai 14 ans. Je rentre d'un voyage scolaire en Angleterre, passablement affaibli par deux semaines de viande bouillie avec sauce à la menthe, de pluie, de froid. Depuis quelques temps, j'ai l'impression de tenir une crève qui ne passe pas. Je crache mes poumons. De bons vieux crachats verdâtres. Ça commence à inquiéter mes parents et même moi, d'ordinaire assez peu centré sur ma santé, je perçois bien qu'il y a un problème.

Alors on prend rendez-vous chez le médecin qui est censé vous remettre d'équerre. Le Dr d'Equerre(appelons-le comme tel, puisque tous les noms de ce blog sont changés...) est un bon gros toubib jovial qui a conservé son humour de carabin et qui fume comme un pompier. Grosse clientèle dans cette ville de 50.000 habitants, il est connu comme le loup blanc. Inversement, il vous connaît depuis toujours... Trop bien d'ailleurs : dès que vous rentrez dans son cabinet, il sait déjà ce qu'il va vous dire et vous prescrire. Il a l'habitude, il la connaît, sa clientèle. Avec son lot de gamins enrhumés et de parents inquiets... Soigner les uns et calmer les autres. C'est son job.

Pourtant, cette fois, votre cas l'inquiète. Il semble pour la première fois vous considérer comme un nouveau patient. L'auscultation se prolonge. C'est vrai que vous avez toujours été un peu chétif. Un peu malade. Souvent avec des bronchites. Vos courbes de poids sur le carnet de santé ont commencé à plonger sous les normes assez tôt, mais après tout, il suffisait juste qu'il mange, ce petit gars.

Mais cette fois, votre cas l'inquiète... L'accumulation de symptômes qui ne l'avaient pas frappés jusqu'alors semble produire un chamboulement chez cet homme, comme un affreux pressentiment, celui d'avoir été frappé de cécité pendant de trop nombreuses années.

Pour la première fois, un pli soucieux lui barre le front (qu'il a jusqu'à la nuque), mais il se veut encore rassurant. Il ne pose pas de diagnostic. Par prudence, pour conjurer le mauvais sort ou bien simplement parce qu'il aurait fallu expliquer le pourquoi du comment. Il a la trouille d'avoir raison, il serait passé 14 ans à côté... Le mieux est peut-être d'aller consulter à l'hôpital. Sans tarder, toutefois. Eux feront d'autres tests. Et ils verront ce que lui n'a pas vu.

Après de nouveaux examens pour établir un bon gros bilan, pour la première fois, ils prononceront le nom de Mucoviscidose. Pardon ? Vous pouvez répéter ?

Quelques gouttes de sueur sur un papier réactif et l'affaire est entendue... Le test est imparable ou presque. A cette époque, on balbutie en génétique, c'est donc sur la foi d'une bandelette de papier que mon destin se scelle. Une bandelette insolente à proclamer que la vie sera à présent toute autre. Oui, ce pacte avec le diable, je l'ai signé de ma sueur.

Toujours couvé par les parents, je ne prends pas encore la mesure de tout ce que cela implique. De l'hôpital de province, je suis adressé au professeur du CHU d'à côté. Qui confirme à son tour. Je ne prends toujours pas conscience de la gravité des choses. Je m'impatiente. Tout ceci m'ennuie. Quand est-ce que cela va s'arrêter ? La prise de conscience viendra un peu plus tard : jamais. Je suis abonné à vie à ces réjouissances, à voir des blouses blanches, aux examens en tous genres.

J'ai 14 ans, l'âge auquel mes copains commencent à être libres comme l'air. L'âge auquel on commence à faire des projets d'avenir. L'âge auquel on est tourmenté à bon escient, entre l'enfance et le gouffre béant qui s'ouvre, celui de votre vie d'adulte. J'ai 14 ans et je lis dans une brochure sur la mucoviscidose que l'espérance de vie des malades est de 14 ans.

L'information brute me fait l'effet d'une gifle. Enfin ! Bien-sûr : c'est une moyenne,. Bien-sûr : le professeur soigne des mucos qui sont adultes. N'empêche. Je cesse d'être moi à cet instant là. Tout ce que j'endure depuis des semaines sans l'intellectualiser, protégé par les parents, sans vouloir y croire, les examens, les séances de kiné qui ont commencé, les médicaments à tous les repas, ça devient lumineux en cet instant. Lumineux, et terriblement sombre.

Cette année là, je passe pour la première fois de ma vie mon anniversaire à l'hôpital... Ca ne sera pas la dernière...