jeudi 4 août 2011

Santé : 12 mois d'août dans l'année.

Petit bonus pour compléter le précepte de la chronique précédente : n'allez pas à l'hosto en Août...

J'ai été greffé du foie et des poumons un 1er mai... Etant arrivé dans un sale état à la greffe, plus proche du mec qu'on met directement en boîte vernie avec poignées en or que du type qu'on veut sauver, je dois reconnaître que les médecins ont vraiment réalisé des petits miracles...

24 heures passées au bloc, un mois d'un coma médicamenteux plus tard, puis un mois et demi de plus, toujours en réanimation, le temps de me remettre sur pied (au sens propre comme au figuré) et nous voilà déjà en juillet... J'use les nerfs des médecins et des infirmières qui aimeraient me voir dégager de la réanimation, mais après tout, c'est surtout moi le « patient ». Puis vient le service d'hospitalisation « normal », qui durera encore de très longues semaines : nous voici en Août...

J'ai déjà changé 2 fois de chambres dans ce grand hopital parisien (pour brouiller les pistes, appelons-le donc... GHEP : Grand Hôpital Enigmatique Parisien. ;-P ). J'avais une petite chambre mais le médecin a pu me faire transférer dans une chambre très spacieuse, immense, même, avec verrière et canapé pour les visiteurs. Mais à peine deux semaines plus tard, en août, l'hôpital regroupe tous les malades dans un service et ferme les autres. Je me retrouve dans une chambre cagibi, à peine la place pour tourner autour du lit. Grosse déprime... Quelques jours plus tard, on me redéménage dans une autre chambre. Visiblement, le jeu des chaises musicales continue, et je ne suis pas le seul dans ce cas là...

Mais il n'y a pas que les malades qui sont regroupés, les infirmières aussi... Des infirmières qui viennent de services différents, qui n'ont sans doute pas l'habitude de travailler ensemble. En plus, on gère la pénurie de personnel suite à la mise en place des 35 heures qui a complétement désorganisé l'hôpital. Comme d'habitude, on a rien anticipé, le dogme politique d'abord et advienne que pourra...

A cette époque, le gouvernement français a eu la géniale idée de faire venir des infirmières espagnoles pour essayer de juguler la pénurie de personnel. Après une rapide formation, les infirmières importées sont lâchées dans la nature. Le gouvernent a beau fanfaronner avec un bilan positif, la réalité est bien différente, le bilan plus que mitigé !

Et ça, je l'ai vécu...

La communication est très compliquée. On se comprend mal, on est obligé de faire appel à des infirmières françaises ou les aides soignantes pour pouvoir obtenir des informations précises ou être certain que les messages passent bien... Les infirmières espagnoles vivent sous pression, comme les autres certes, mais en plus elles ont le devoir de réussir, de s'intégrer, de gérer le stress. Elle ne connaissent pas les traitements, ni les us et coutumes français... Sur le plan personnel, elles sont loin de chez elles, et la vie d'une banlieusarde travaillant à Paris, ce n'est pas vraiment la Movida Espanola !

Bref : on voit que cette situation tape sur le système à tout le monde.

Juanita Banana est tendue comme un string dès qu'elle entre dans une chambre... Elle sent bien en face d'elle les réticences et les difficultés. Elle est toujours sur les nerfs, la moindre question ou remarque la fait s'emporter. Du coup, elle a fait des prises de sang une corrida qui ne me plaît pas... Pas de doute, ces jours forcés d'hospitalisation seront encore plus longs...

Ce sera bientôt le moment où l'on commence à vous habituer à préparer votre traitement. Une feuille recto-verso de médicaments... 3 comprimés de ceci, 1 et demi de cela, 6 de ça, une ampoule de truc, etc. La corvée que vous devrez gérer aussi à vie quand vous serez dehors...

Mais en vérité, mes parents et moi n'avons pas attendu pour commencer à contrôler ce qui était distribué comme médicament. Le fait de contrôler (pas fliquer... con-trô-ler... autrement dit s'intéresser un peu plus qu'un patient lambda à ce qu'on nous fait...) est une pratique qui irrite plutôt tout le monde.

Pour expliquer cet état d'esprit familial, il faut préciser que le passif est lourd. Mes parents ont perdu avant moi un enfant en bas âge après un long parcours dans les hôpitaux parisiens dans les années 70... Alors quand on a diagnostiqué à 14 ans ma mucoviscidose, cela a été un coup de massue sur le crâne. Un de plus. Depuis 15 ans de parcours médical, avec tous les hôpitaux et personnels médicaux fréquentés, nous avons appris ensemble qu'il valait mieux ne pas faire une confiance aveugle, qu'il fallait toujours rester vigilant, pour ceux qui ne le sont pas...

Au GHEP, un beau jour, sans prévenir : il n'y a plus d'anti-rejets dans les comprimés du matin. Évidemment, je le signale mais la réponse de l'infirmière est « si le médecin ne l'a pas prescrit... ». Alors j'insiste et je lui dis que ces médicaments me semblent indispensables, qu'il n'est pas possible d'arrêter pour un greffé... « Je vais voir... ». Sauf que quatre heures plus tard, toujours rien.

Ma mère fait le siège de l'infirmière cadre pour obtenir des explications et là, évidemment, on se rend compte qu'il y a un problème, la prescription informatique a bugué... A vrai dire, on a renouvelé l'ordonnance informatique sans contrôler si des médicaments avaient atteint la date butoir. Disparus automatiquement de la prescription, on (le médecin ? L'interne ?) ne s'est pas posé un instant la question. « On » connaît-il bien ses dossiers ? Est-ce que lui aussi gère plusieurs services en ce mois d'Août ?

Combien serais-je resté de temps sans prendre d'anti-rejets si je n'avais pas tiré la sonnette d'alarme ? En tous cas, voilà une raison de plus pour Juanita Banana de me détester car il est probable qu'elle se soit prise une avoinée...

Quelques jours plus tard, le médecin me prescrit une perfusion d'un médicament. Explications, discussion. Comme je suis diabétique, le médecin précise que le médicament doit être dilué dans du sérum glucosé afin de ne pas précipiter et que je devrai en tenir compte.

Évidemment, ça ne manque pas : la perfusion arrive l'après-midi, diluée dans une poche de sérum physiologique salé et le produit a commencé à cristalliser. On le signale immédiatement à l'aide soignante qui hausse les épaules. Je refuse qu'elle pose la perfusion... Une fois de plus, un clash : c'est toujours difficile de pointer les erreurs du personnel... Je suis le chieur de service, une fois de plus. Qu'importe !?

Tout serait si facile si j'étais un patient qui ne pose jamais de question, qui ne contrôle rien, qui n'oblige pas à faire un effort supplémentaire... Une infirmière me dit à l'époque : « Mais pourquoi est-ce qu'avec vous il y a toujours quelque chose ? ». J'aurais pu lui répondre, "Si tu fais les mêmes conneries avec les autres et qu'ils ne s'en rendent pas compte, c'est LEUR problème. Le mien est juste de sauver ma peau !".

Ni vu ni connu, je suis certain que bon nombre d'erreurs passent ainsi inaperçues à l'hosto, au petit bonheur la chance. Nous devons encaisser sans le savoir pas mal de choses, un médicament surdosé, un comprimé pour un autre, une perfusion mal administrée, une erreur d'aseptie, mais heureusement, les gens sont robustes dans l'ensemble ! « Le corps humain, c'est quelque chose... » comme dirait un célèbre médecin télévisuel (non pas Dr House, l'autre...)...

Aujourd'hui quand je lis dans des journaux le récit d'enchaînements improbables ayant conduit à des cas critiques ou des morts à l'hôpital, cela ne m'étonne même plus.

De l'hôpital, j'ai tout vu : l'infinie vigilance, l'excellence, le professionnalisme, l'empathie, le respect, la compréhension. Mais j'ai aussi vu le revers : la fatigue et la lassitude, le découragement, la fainéantise la plus tenace, la poussière qu'on met sous le tapis, la personne qui n'est pas à sa place, qui n'aime pas son métier, voire carrément l'incompétence...

Dans l'ensemble, cela s'est toujours bien passé, mais j'imagine que le mois d'Août, traditionnellement celui des réoganisations, des manques de moyens et des emplois du temps à trous est celui où il est le moins souhaitable d'être hospitalisé.

Le problème, c'est que la diminution des moyens pour la santé en France tend à faire de toute l'année un immense mois d'Août, avec ses compressions de personnel, toujours plus sur la brèche, toujours moins disponible... Une année avec 12 mois d'août, ça pourrait sembler sympa. Sauf que : ce sont les malades qui trinquent.

Alors, plus que jamais : restez vigilants dans les années à venir !

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